«Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l'inconnu noyau manquant - un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal - , blanc sillon damnatif où s'abîma un Anton Voyl, mais d'où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu'il a rapport à la vocalisation. L'aiguillon paraîtra à d'aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. n'arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n'accoucha d'avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça !»Bernard Pingaud.
«Il y a dans ce livre deux textes simplement alternés ; il pourrait presque sembler qu'ils n'ont rien en commun, mais ils sont pourtant inextricablement enchevêtrés, comme si aucun des deux ne pouvait exister seul, comme si de leur rencontre seule, de cette lumière lointaine qu'ils jettent l'un sur l'autre, pouvait se révéler ce qui n'est jamais tout à fait dit dans l'un, jamais tout à fait dit dans l'autre, mais seulement dans leur fragile intersection.L'un de ces textes appartient tout entier à l'imaginaire : c'est un roman d'aventures, la reconstitution, arbitraire mais minutieuse, d'un fantasme enfantin évoquant une cité régie par l'idéal olympique. L'autre texte est une autobiographie : le récit fragmentaire d'une vie d'enfant pendant la guerre, un récit pauvre d'exploits et de souvenirs, fait de bribes éparses, d'absences, d'oublis, de doutes, d'hypothèses, d'anecdotes maigres. Le récit d'aventures, à côté, a quelque chose de grandiose, ou peut-être de suspect. Car il commence par raconter une histoire et, d'un seul coup, se lance dans une autre : dans cette rupture, cette cassure qui suspend le récit autour d'on ne sait quelle attente, se trouve le lieu initial d'où est sorti ce livre, ces points de suspension auxquels se sont accrochés les fils rompus de l'enfance et la trame de l'écriture.»Georges Perec.
Tous les livres que j'ai écrits ont été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées.À partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs. Une sorte d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j'entrevois, au loin, dans la clarté.A. E.Parallèlement à ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture ; une sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre une incursion rare de «l'autre côté» de l'oeuvre.Plongé au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du long dialogue de l'autrice avec elle-même : la pensée taillée au couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement ; des associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.Pour la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.
«Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans l'oeuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s'y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d'une ardeur brutale, presque inattendue, c'est peut-être qu'ils trouvent dans l'admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement.»Matthieu Galey.
Fruit d'une correspondance entretenue de l'été 1980 à l'hiver 1991 avec Jean-Luc Hennig - journaliste et écrivain -, La Passe imaginaire dresse un autoportrait singulier de Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée.À travers une écriture engagée et vivante, l'autrice raconte ses jours, ses nuits, ses clients, ses amants imaginaires, ses rêveries, ses coups de gueule, ses révoltes contre Dieu, ses verres de royal-kadir, ses usures.Alternant poésie, hyperréalisme documentaire et onirisme, ces lettres révèlent celle qui se nommait «la catin révolutionnaire», une grande amoureuse, une militante passionnée, épicurienne et libertaire.Loin du misérabilisme et du sentiment de honte, Grisélidis Réal donne ici à la prostitution une portée puissante : celle d'un combat à la fois individuel et collectif pour changer la société tout entière. Publiée pour la première fois en 1992, cette oeuvre maîtresse de l'autrice reste aujourd'hui cruciale dans le combat pour les droits des travailleuses du sexe et au sein de la littérature féministe.
Ce n'est pas un livre, ce sont des histoires qui se regardent. C'est un peu comme si on mettait un livre dans un miroir et puis, ce que l'on voit de l'autre côté du miroir, c'est le contraire. C'est l'image inverse.G. P.Publié à titre posthume en 1989, «53 jours» est le roman sur lequel Georges Perec travaillait au moment de sa mort, le 3 mars 1982. Le livre comprend, d'une part, ce que l'auteur avait déjà rédigé, soit onze des vingt-huit chapitres prévus ; d'autre part, un abondant dossier de notes préparatoires et de brouillons, permettant un déchiffrement et une reconstitution de l'ensemble de l'histoire.Une fois de plus, Perec ne se limite pas au romanesque.Le livre dépasse le simple récit policier : des intrigues parallèles, emboîtées, souvent non résolues, se greffent à la trame principale. Autant de faux-semblants, de fausses pistes qui viennent questionner la fiction et le rôle du lecteur.C'est bien l'oeuvre la plus énigmatique de l'auteur, et l'une des plus singulières. Une belle occasion d'assister à un mouvement arrêté dans son cours, un travail laissé sur la table, comme un aperçu du cerveau d'un des grands noms de l'Oulipo.
«L'Interzone » ne figure sur aucune carte. C'est un dédale de rues, situé quelque part entre New York et Tanger, entre les deux pôles d'un cerveau sous drogue. C'est là que se réfugie William Lee après avoir accidentellement tué sa femme. Persuadé d'être un agent secret, Lee commence à rédiger des rapports pour une mystérieuse corporation internationale, rapports qu'il tape à la machine à écrire, partenaire organique, grouillante comme un véritable cafard.Dans le chef-d'oeuvre de Burroughs, cet ovni littéraire dont on fait l'expérience plus qu'on ne le lit, des notes éparpillées et des récits inachevés s'assemblent en une réflexion terrifiante sur l'écriture. Débauche, délires psychédéliques et critique politique s'écrivent dans un style qui s'invente.La mélodie de la petite horreur quotidienne du camé transporte le lecteur au pays des extases surréalistes.
Une embellie perdue est la suite des Mémoires que Gisèle Halimi a entrepris avec La cause des femmes et Le lait de l'oranger. En juin 1981, l'avocate est élue députée. Le «peuple de gauche» rêve de changer la vie ; et les femmes de compter, enfin, en politique.Mais l'embellie sera brève. Les socialistes cèdent, assez vite, au «réalisme» et aux délices du pouvoir. «La gauche a-t-elle encore une âme ?» s'interroge bientôt Gisèle Halimi. En septembre 1984, elle quitte l'Assemblée. Pendant quarante mois, elle aura vécu une aventure ambiguë : décevante, dans l'univers masculin des politiciens : riche de découvertes, dans sa circonscription.Le Palais-Bourbon sous la vague rose. Le chemin - un temps commun - avec François Mitterrand, Joxe, Rocard ou Bérégovoy. La campagne - hors de tous les partis - des «100 femmes pour les femmes», en 1978. Le suicide tragique de trois amies, «chambardées» par leurs ruptures féministes... Souvenirs mêlés...Ce livre témoigne de l'espérance et du désenchantement de ces dernières années. Il tente aussi une réflexion sur le pouvoir, la démocratie, les contradictions entre vie privée et vie publique.Un récit doux-amer, tourné cependant vers l'avenir où Maud-Tahfouna, la petite-fille lumineuse de Gisèle Halimi, l'entraîne. Avec la force de l'enfance.
«L'Aleph restera, je crois, comme le recueil de la maturité de Borges conteur. Ses récits précédents, le plus souvent, n'ont ni intrigue ni personnages. Ce sont des exposés quasi axiomatiques d'une situation abstraite qui, poussée à l'extrême en tout sens concevable, se révèle vertigineuse.Les nouvelles de L'Aleph sont moins roides, plus concrètes. Certaines touchent au roman policier, sans d'ailleurs en être plus humaines. Toutes comportent l'élément de symétrie fondamentale, où j'aperçois pour ma part le ressort ultime de l'art de Borges. Ainsi, dans L'Immortel : s'il existe quelque part une source dont l'eau procure l'immortalité, il en est nécessairement ailleurs une autre qui la reprend. Et ainsi de suite...Borges : inventeur du conte métaphysique. Je retournerai volontiers en sa faveur la définition qu'il a proposée de la théologie : une variété de la littérature fantastique. Ses contes, qui sont aussi des démonstrations, constituent aussi bien une problématique anxieuse des impasses de la théologie.»Roger Caillois.
CLÉO : J'en étais sûre. C'est grave, n'est-ce pas ? IRMA : Oui, c'est grave, mais il ne faut rien exagérer. Tirez encore une carte. Il faut réfléchir, il faut voir. Cléo tourne une carte. C'est le Squelette. Cléo, une chanteuse à qui l'on suspecte un cancer, appréhende les résultats de ses analyses médicales. Au cours d'une attente interminable, vécue minute après minute, l'héroïne déambule dans le Paris des années 60. De la rue de Rivoli au Dôme, de Vavin au parc Montsouris, Cléo considère le monde qui l'entoure d'un oeil nouveau. Tic, tac, une tension subtile et précise grandit peu à peu. On vit l'errance angoissée du personnage en temps faussement réel, de 5 à 7, jusqu'au verdict. Publié dans la collection «Blanche» en 1962, le scénario d'Agnès Varda va bien au-delà du document de travail. Poétique et fantasque, il interroge l'inexorabilité du temps qui passe. Illustré par des photogrammes restaurés d'un des films les plus célèbres de la Nouvelle Vague, le deuxième d'Agnès Varda, ce livre raconte l'histoire d'une époque libre et inquiète.
Esther Greenwood, dix-neuf ans, est à New York avec d'autres lauréates d'un concours de poésie organisé par un magazine de mode. De réceptions en soirées passées pour tuer le temps, ce sont quelques jours d'une existence agitée et futile que vit la narratrice. En même temps, elle se souvient de son enfance, de son adolescence d'étudiante américaine, des amours qu'elle a connues. Tout bascule lorsque Esther quitte New York. Tentatives de suicide, traitements de choc, guérison, rechutes, et, pour finir, l'espoir. Esther est à la fois «patiente» dans l'univers hospitalier et observatrice au regard aigu de ce monde, qui a pour toile de fond l'Amérique des années 1950.
En plein XIX? siècle, dans le pays qui est en passe de devenir le plus industrialisé du monde, Thoreau tourne le dos à la civilisation et s'installe seul, dans les bois, à un mille de tout voisinage, dans une cabane qu'il a construite lui-même, au bord de l'étang de Walden, Massachusetts. Il ne doit plus sa vie qu'au travail de ses mains. C'est là qu'il commence à écrire Walden, grand classique de la littérature américaine, hymne épicurien, souvent loufoque, à la nature, aux saisons, aux plantes et aux bêtes, toutes choses et tous êtres qui ne sont, selon les propres dires de Thoreau, que «l'envers de ce qui est au-dedans de nous».
L'histoire du tapuscrit de Pétrole suit celle de l'auteur : en novembre 1975, Pier Paolo Pasolini est battu à mort sur une plage d'Ostie. Affaire criminelle irrésolue. Le texte dactylographié auquel il travaillait depuis trois ans est alors retrouvé dans son bureau, inachevé. Pour sa rédaction, Pasolini avait enquêté longuement sur la mort mystérieuse de l'industriel Enrico Mattei.Publié dix-sept ans après la mort de l'auteur et réédité, en 2022, dans une version révisée dont les ajouts ont été intégrés à la présente traduction, Pétrole raconte le quotidien d'un homme vivant un dédoublement de personnalité. Carlo, catholique issu d'une famille de la haute bourgeoisie et cadre de l'industrie pétrolière, conclut un pacte avec le diable. On suit son ascension vers le pouvoir, et les liens qu'il crée avec une société corrompue... Son double, Carlo 2, explore quant à lui une sexualité empreinte de domination : métaphore des aliénations sociales et politiques.Exempt de toute forme d'autocensure, ce «romanlaboratoire» constitue tout un monde expérimental. Miroir de la personnalité exceptionnelle de son auteur, il entreprend une profonde réflexion sur la puissance de la forme romanesque et un dialogue avec l'histoire de la littérature et de l'anthropologie, dans une sorte de Divine Comédie moderne.
«Marelle est une sorte de capitale, un de ces livres du XX? siècle auquel on retourne plus étonné encore que d'y être allé, comme à Venise. Ses personnages entre ciel et terre, exposés aux résonances des marées, ne labourent ni ne sèment ni ne vendangent : ils voyagent pour découvrir les extrémités du monde et ce monde étant notre vie c'est autour de nous qu'ils naviguent. Tout bouge dans son reflet romanesque, la fiction se change en quête, le roman en essai, un trait de sagesse zen en fou rire, le héros, Horacio Oliveira, en son double, Traveler, l'un à Paris, l'autre à Buenos Aires. Le jazz, les amis, l'amour fou - d'une femme, la Sibylle, en une autre, la même, Talita -, la poésie sauveront-ils Oliveira de l'échec du monde ? Peut-être... car Marelle offre plusieurs entrées et sorties. Un mode d'emploi nous suggère de choisir entre une lecture suivie, rouleau chinois qui se déroulera devant nous, et une seconde, active, où en sautant de case en case nous accomplirons une autre circumnavigation extraordinaire. Le maître de ce jeu est Morelli, l'écrivain dont Julio Cortazar est le double. Il cherche à ne rien trahir en écrivant et c'est pourquoi il commence à délivrer la prose de ses vieillesses, à désécrire comme il dit. D'une jeunesse et d'une liberté inconnues, Marelle nous porte presque simultanément au paradis où on peut se reposer et en enfer où tout recommence.» Florence Delay.
Une enfant de huit ans qui engage le combat contre l'institutrice qui la traite de «sale Juive» ou de «sale bicote». Une écolière qui ne se soumet pas au culte rendu à Pétain dans les écoles, du temps de Vichy. Une adolescente qui se révolte contre le Dieu des Juifs, parce qu'il n'accorde pas leur place aux femmes. Une jeune avocate qui refuse de prêter le serment traditionnel, parce qu'elle le juge trop servile... Parcours d'une rebelle, qui permet de retrouver les moments forts d'une vie marquée par des combats difficiles, voire dangereux.
Défense des militants du F.L.N. pendant la guerre d'Algérie, ce qui lui vaut d'être arrêtée par les militaires putschistes. Procès de Bobigny sur l'avortement, cause des femmes, Gisèle Halimi ébauche ici une nouvelle réflexion sur le féminisme, née de la tendresse et des contradictions d'«une jeune mère indigne» à l'épreuve d'«un couple impossible». Bien des hommes et des femmes célèbres traversent cette histoire passionnée. Coty, de Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac, Simone Veil, Bourguiba ou encore Camus, Sartre, Simone de Beauvoir... Peints souvent avec amitié, quoique toujours sans complaisance et parfois d'une plume acérée. Mais, sans doute, pour cette actrice et témoin privilégiée de quelques événements importants de notre époque, le vrai grand homme a-t-il été Édouard, cette figure paternelle à laquelle elle revient toujours, par-delà la vie et la mort, et qu'elle appelle «le magicien».
L'histoire se déroule en 1986 en pleine dictature au Chili. Celle que tout le monde appelle «la Folle du Front» vit dans un quartier pauvre de Santiago. Cette vieille femme transgenre a quitté la prostitution et brode désormais des nappes raffinées en fredonnant des chansons de Sarita Montiel.Très vite, la voilà amoureuse de Carlos, un jeune militant, pour qui elle est prête à tout. Lui voit dans la maison branlante de « la Folle » un lieu idéal pour cacher et stocker des armes en vue d'un attentat contre Pinochet. Derrière cette alliance loufoque, c'est bien le grand soir révolutionnaire qui se prépare.Dans la tradition baroque et subversive du roman latino-américain, Pedro Lemebel réussit un coup de maître, une comédie brillante et troublante sur la sexualité et le pouvoir. Avec une prose sensuelle, flamboyante, burlesque et mélancolique, il entremêle l'histoire bouleversante d'un amour hors du commun avec le destin politique d'un pays.
Juan preciado arrive au village de comala à la recherche de son père inconnu, pedro paramo.
Pour accompagner ce télémaque nu-pieds dans sa contre-odyssée, nous devons traverser avec lui une rivière de poussière. l'autre rive est celle de la mort, où règne un cadavre qui fut maître de toutes les vies : le cacique pedro paramo, ulysse de pierre et d'argile, immobile et impuni, entouré d'une cour de rumeurs et de spectres : la mère et amante doloritas, jocaste-eurydice qui conduit le fils et amant, oedipe-orphée, sur les chemins de l'enfer ; susana san juan, electre à l'envers ; les vieilles virgiliennes- eduwiges, damiana, la cuarraca -, fantômes de fantômes, fantômes qui contemplent leurs propres fantômes ; les couples de frères édéniques et adamiques qui dorment ensemble dans la boue de la création pour recommencer le genre humain dans le désert de comala...
Juan rulfo accroche à l'arbre sec et nu de la révolution mexicaine quelques fruits d'un sombre éclat : fruits doubles, fruits gémeaux auxquels il faut goûter si l'on veut vivre, tout en sachant qu'ils contiennent les sucs de la mort. car cette histoire d'un cacique, de ses femmes, de ses tueurs et de ses victimes se situe dans le territoire privilégié du surréalisme : cet espace de l'esprit où, selon andré breton, la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, cessent d'être perçus comme contradictoires.
«Toutes les mythologies parlent, soit d'un centre original du monde, soit d'un arbre sorti de terre et qui gagne le ciel, soit d'un mont sacré, en tout cas d'une possibilité de communication avec l'au-delà. Or, il faut que cette possibilité existe, que l'arbre ou la montagne soit là pour de vrai, au même titre que l'Éverest ou le mont Blanc. C'est ce que pense l'auteur du récit et il réunit une expédition pour découvrir le mont Analogue. La description des membres de l'expédition permet à René Daumal d'exprimer sa fantaisie. La base du mont est finalement découverte : c'est la courbure de l'espace qui empêchait de la voir. Le récit est inachevé, mais il est assuré que l'expédition, qui a disparu à nos regards de lecteurs, poursuit son ascension. Naturellement, les personnages et les circonstances du Mont Analogue sont symboliques : telle est la littérature quand elle se veut utile à l'homme. Dans la circonstance, elle éveille doublement, car toutes les phrases portent. Cela tient à l'intelligence très personnelle de René Daumal et à ce qu'on pourrait appeler son lyrisme de l'ironie.» Roger Nimier.
Dans ce voyage intérieur, le narrateur s'adresse à l'équipage d'un bâtiment immobilisé sur la Tamise, attendant la marée pour appareiller. S'ensuit une improbable expédition au coeur d'un continent inquiétant, peuplé d'indigènes invisibles et menaçants et de trafiquants d'ivoire. Avec une interview : Mathias Enard, pourquoi aimez-vous Au coeur des ténèbres ?
Les rêves doivent être enregistrés comme ils viennent, spontanément. J'arrachais du lit ma carcasse lasse et à travers des paupières enflées par le sommeil, je gribouillais au crayon à toute vitesse, dans mon petit carnet à rêves jusqu'à la moindre bribe de souvenir.J. K. Vivre cette odyssée nocturne aux côtés de Jack Kerouac, c'est errer avec lui dans un monde baigné d'étrangeté et d'inconscient, et être emporté dans un voyage sans fin, en quête d'amour, d'aventure et peut-être d'une certaine paix. La forme libre de l'écriture ensommeillée, d'une immédiateté presque idéale, nous projette en plein dans la spontanéité et le rythme beat.Dans les années 70, Book of Dreams avait été publié dans une version amputée de moitié. Ce n'est qu'en 2001, aux États-Unis, que le texte complet a été redécouvert. «L'Imaginaire» propose aujourd'hui cette édition intégrale, comprenant plus de deux cents rêves inédits en français.
La Fée-Cinéma est le récit autobiographique d'Alice Guy : première femme cinéaste du monde. Écrire vite. Raconter son enfance, d'abord : la jeune Alice est élevée entre le Chili, la Suisse et la France. Puis le pensionnat et la vie à Paris. Suivent des études de sténographie, avant qu'elle ne devienne en 1895 la secrétaire de Léon Gaumont au Comptoir général de Photographie. C'est à la suite de la première projection du cinématographe des frères Lumière qu'Alice a l'idée de tourner de courtes fictions pour soutenir la vente des caméras Gaumont. Déjà «mordue par le démon du cinéma», elle n'a qu'une obsession : raconter des histoires en réalisant ses propres films, dont le plus célèbre, La Fée aux choux, considéré comme le premier film de fiction... Longtemps effacée de l'Histoire, Alice Guy décrit ici avec précision les débuts du cinéma, la magie des accidents, des expérimentations et autres bouts de ficelle. Sans détour et sans romance, d'une écriture intime et urgente, elle dit la beauté du 7? art qu'elle a «aidé à mettre au monde» ; elle se réhabilite. Elle meurt en 1968 et ses Mémoires, pourtant achevés en 1953, ne seront publiés qu'en 1976.
«Mon cas n'est pas unique : j'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je n'ai pas travaillé, je n'ai pas étudié. J'ai pleuré, j'ai crié. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps [...]. Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier.»
Cristina Campo, qui a peu écrit, déclarait qu'elle aurait voulu écrire encore moins. Livre admirable et d'une rare incandescence, Les impardonnables réunit une part essentielle de son oeuvre. Qu'elle explore les contes de fées, les Mille et Une Nuits, le chant grégorien, l'art du tapis ou qu'elle consacre sa méditation à Chopin, Tchekhov, Proust ou Borges, c'est toujours la même saisissante luminosité qui émane de sa prose. Pour Cristina Campo, la splendeur du style n'était pas un luxe mais une nécessité. Cette «trappiste de la perfection» aspirait à une parole nourricière dont chaque mot aurait été soupesé avec délicatesse. Considérant que notre profondeur d'attention est à la fois «le noyau de toute poésie» et «le seul chemin vers l'inexprimable, la seule voie vers le mystère», elle a su porter son regard plus loin que les décrets du visible. Animé par une passion ardente et une sensibilité subtile, Les impardonnables fait partie des livres impérissables qui sont aussi des livres de vie.
«La première lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo, datée d'août 1872, est envoyée de La Haye. Il a dix-neuf ans. Il ne sait pas qu'il va peindre. La dernière lettre, inachevée, Théo la trouve dans la poche de Vincent qui s'est tiré une balle dans la poitrine le 27 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise. Des dizaines de toiles encombrent sa chambre. Presque quotidiennement, pendant dix-huit ans, Vincent a écrit à Théo. Et Vincent écrit à propos de tout à Théo comme il lui envoie toutes ses toiles. Il lui montre ce qu'il peint comme ce qu'il est. Ces lettres incomparables - des récits, des aveux, des appels - sont nécessaires pour découvrir le vrai Van Gogh devenu mythe... Il n'est pas un peintre fou. Au contraire, solitaire, déchiré, malade, affamé, il ne cesse d'écrire, lucide, comme il traque la lumière.» Pascal Bonafoux.