« Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Avec la lumière du soleil qui maintenant frappait le sol et les meubles de vieux bois marqueté, avec l'ombre des croisillons aux fenêtres qui dessinait comme un quadrillage penché sur l'épaisse moquette, elle a fini par dire qu'elle était revenue tout récemment, que pour l'instant elle logeait chez son père et qu'elle avait déposé un dossier pour un logement mais que peut-être il pourrait appuyer sa demande et que voilà, ce serait formidable pour elle si... »
Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d'être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l'ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d'investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu'il soit construit.
Il est évident que la fortune pour le moins tardive de ma grand-mère a joué un rôle important dans cette histoire. Sans tout cet argent, mes parents ne seraient jamais revenus s'installer dans le Finistère. Et moi-même sans doute, je n'aurais jamais quitté Brest pour habiter Paris. Mais le vrai problème est encore ailleurs, quand il a fallu revenir des années plus tard et faire le trajet dans l'autre sens, de Paris vers Brest.
Du jour où j'ai décidé d'écrire un roman américain, il fut très vite clair que beaucoup de choses se passeraient à Detroit, Michigan, au volant d'une vieille Dodge, sur les rives des grands lacs. Il fut clair aussi que le personnage principal s'appellerait Dwayne Koster, qu'il enseignerait à l'université, qu'il aurait cinquante ans, qu'il serait divorcé et que Susan, son ex-femme, aurait pour amant un type qu'il détestait.
Il ne faut pas s'y tromper : malgré les apparences, Tanguy Viel n'a pas écrit un roman américain, mais une fiction typiquement « made in France ». Toute de références, de clins d'oeil et d'ironie. Avec pour décor en trompe-l'oeil les États-Unis, leur littérature et ses poncifs. [...] De tout cela surgit un véritable petit joyau littéraire. Assurément le livre le plus enlevé de Tanguy Viel, formidable exercice d'écriture et de lecture critique. Se déployant sur deux niveaux à parts égales : la tenue d'une fiction « américaine », à laquelle ne manque aucun des accessoires convenus de l'appareillage narratif ; un travail systématique de distanciation qui en exhibe les tics et les habitudes paresseuses.
Jean-Claude Lebrun, L'Humanité La jubilation qui naît de ce roman, le sourire qui ne nous quitte jamais tient entre autres à ce qu'on se laisse mener par un narrateur qui joue avec le conditionnel, le futur ou le passé [...]. Des ellipses feront deviner. Ou bien des fins de chapitre qui ménagent le suspense, comme il convient dans toute fiction américaine, qu'elle soit écrite ou filmée. L'art de Tanguy Viel repose sur sa passion du cinéma. [...] Cinématographique jusque dans le développement de la phrase. Elle tourne, elle ressasse, elle emprunte à l'oral, elle joue du retardement, laissant exploser le mot final, celui qu'on attendait avec l'impatience de l'enfant qui écoute un conteur, à la fois inquiet et joyeux.
Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire
Marin, Andrei, Pierre, c'étaient tous des caïds.
Et dans ce monde de traîtres, leur disait l'oncle, pour que " la famille " survive, il faut frapper toujours plus fort. Alors quand Marin est sorti de prison, lui, le neveu préféré, il a dit : le hold-up du casino, ça nous remettrait à flot.
Sam est le frère de Lise. Du moins c'est ce que tout le monde croit quand Lise se marie avec Henri. Mais c'est surtout Henri qui doit le croire, pour que Sam et Lise puissent réussir leur mauvais coup. Seulement Henri aussi a un frère, un vrai cette fois, et qui s'appelle Édouard. Or même vrai on peut être un faux frère.
Celui qui se présente ici comme narrateur en est donc réduit à parler d'un film, d'un seul film, du même film qu'il a vu des dizaines et des dizaines de fois. Toute remarque, tout commentaire, il les a notés, consignés dans un cahier, jour après jour. Son existence est minée par le film. Ses goûts et ses jugements, il les doit au film. Ses amis comme ses ennemis, il les doit à l'opinion qu'ils se sont faite sur le film. À vrai dire, sa vie ne tient qu'à un film.
Évidemment, Cinéma est un roman, et l'on se doute qu'il ne s'agit pas de parler d'un film, de discourir sur un film. Il s'agirait plutôt d'une tentative renversée d'adaptation, au sens où ce mot est employé lorsqu'un cinéaste s'empare d'un livre, un livre qui le hanterait au point qu'il lui faille aussi en finir avec cette fascination, s'en débarrasser en tâchant d'en percer le mystère. En finir, en somme, à la manière du limier attaché aux basques de l'assassin, avec ce rapport d'admiration-répulsion que les meilleurs détectives de la littérature policière entretiennent toujours avec l'homme qu'ils chassent pour le rabattre vers le lecteur jusqu'à l'hallali final.
Bertrand Leclair, Les Inrockuptibles.
Icebergs est une série de promenades dans les allées d'une pensée qui tourne et vire, une pensée à vrai dire obsédée par les formes qu'elle peut prendre. Cette nature inquiète qui l'abrite se demande surtout comment les autres, tous les autres, ont fait avant elle. Alors elle enquête, elle arpente les rayons des bibliothèques, elle se promène sur internet, elle se renseigne sur la vie des écrivains, elle s'assied sur un banc - autant de manières pour elle de résoudre l'énigme de son expression rêvée, ici présentée en courts essais « arctiques », parties visibles et flottantes de la pensée.
Avec la collection Diaporama, l'IMEC invite des auteurs à choisir un petit recueil de photographies qui leur permette de mieux raconter l'expérience de l'écriture, et à partager ainsi quelques-unes des images qui les hantent ou les enchantent pour se raconter plus intimement et parler de littérature autrement.
Premier écrivain à s'être prêté à l'exercice, Tanguy Viel explore dans Boîte noire la partie invisible qui court sous ses livres, et tente de circonscrire les motifs de sa propre pratique romanesque.
De l'astronaute au poulpe des abysses, du swing parfait du golfeur au palais du Facteur Cheval, de Psychose à Fitzcarraldo, les images convoquées ici sont autant de symboles ou reflets des processus intérieurs à l'oeuvre chez le romancier.
Boîte noire est issu de la conférence en images qui eut lieu à l'abbaye d'Ardenne en mars 2018.
Paul, le saxophoniste, ils l'ont surnommé john, à cause de john coltrane.
Georges, à la contrebasse, c'était jimmy, et christian, c'était devenu elvin. même la maison sur l'île, quand ils se sont installés ensemble pour jouer, ils ont voulu la surnommer : ils l'ont appelée black note. mais la maison maintenant n'existe plus, et le quartet non plus. de la clinique oú on l'a conduit, le narrateur et trompettiste du groupe continue de ressasser ce temps de la vie commune. très vite, le récit se concentre autour d'un événement : paul, sa mort, et les circonstances obscures qui l'entourent.
Cela pourrait s'appeler simplement Scènes de la vie du Christ, puisque ce livre est d'abord une série de « tableaux animés », retraçant les étapes de la vie de Jésus, de la Nativité à la Crucifixion en passant par la Fuite en Égypte. C'est que la vie de Jésus, à force de longévité, a sans doute fini par devenir la somme des récits qui la composent, faite d'images millénaires et de légendes dorées, comme autant de fantômes qui traversent nos mémoires. Or, quelquefois, aux fantômes, on a envie de redonner un corps.
Ce livre qui a connu voici deux ans une première édition illustrée. Cette nouvelle édition reprend exclusivement le texte.
Cela pourrait s'appeler simplement Scènes de la vie du Christ, puisque ce livre est d'abord une série de " tableaux animés " retraçant les étapes de la vie de Jésus, de la Nativité à la Crucifixion en passant par la Fuite en Egypte.
C'est que la vie de Jésus, à force de longévité, a fini par devenir la somme des récits qui la composent, faite d'images millénaires et de légendes dorées, comme autant de fantômes qui traversent nos mémoires. Or, quelquefois, aux fantômes, on a envie de redonner un corps.
Et maintenant je ne possède plus rien. Quelques livres, oui parce qu'il faut. Quelques médicaments parce qu'il faut et un fusil pour le cas où. Une grande réserve de fléchettes, des murs blancs et une carte de France. Pas d'ordinateur, pas de téléphone, pas de montre. Plus de miroir, j'insiste. Une nouvelle vie s'annonce.
A travers la lecture critique d'Explications, un livre d'entretiens de Pierre Guyotat et Marianne Alphant, Tanguy Viel nous donne sa vision de la modernité en littérature et plus précisément de ce que l'auteur de Cinéma appelle " la fabrique de l'écriture ".
Réaliser un tour du monde sans jamais prendre l'avion ? Tel est l'étrange défi que se sont lancés Christian Garcin et Tanguy Viel. Par bateau, train, voiture, car, ou simplement à pied, sans jamais quitter l'hémisphère nord, les deux compères, amateurs de flâneries et de promenades, parcourent des milliers de kilomètres au milieu de plaines verdoyantes, d'immenses océans ou de steppes méconnues. Ils nous en livrent ici un récit émaillé de rencontres humaines et de profondes réflexions. Une ode aux voyages et à la lenteur.
« Cent jours autour du monde, en 2018, cela relève presque de l'ordinaire (...) ; chacun ressent qu'on tourne autour de la terre comme aussi bien on prendrait une ligne de tram d'un bout à l'autre, en regardant le ciel défiler au-dessus des nuages. À ceci près que nous, Christian et moi, nous ne prenons pas l'avion. C'est même la seule règle établie, celle qui justifie qu'on mette tout ce temps pour seulement faire une boucle : en cargo, en train, en voiture, à cheval s'il le faut, mais pas en avion - quelque chose comme le voyage de Philéas Fogg en un peu plus long, volontairement plus long même, à l'opposé du pari qu'il fit quant à lui de la vitesse et de la performance. Et non pas parce qu'on se soutiendrait de l'idée absolument inverse d'une lenteur sans limites, mais enfin, il est vrai, en bons romantiques attardés, qu'à la performance on opposera volontiers la promenade, à la vitesse la flânerie, enfin, en bons bouddhistes zen, à l'oeuvre accomplie le trajet qui y mène. » L'un, Christian Garcin, est un grand voyageur, dont l'oeuvre se nourrit de ses pérégrinations ; l'autre, Tanguy Viel, un sédentaire qui croyait avoir signé la pétition de Beckett, « on est cons, mais pas au point de voyager pour le plaisir ». Ensemble, ils se sont lancé un défi : parcourir le monde, de l'Amérique à la Sibérie en passant par le Japon et la Chine, sans jamais prendre l'avion. Récit né de ce périple, enrichi d'inventaires facétieux et de « lettres à un ami » relatant des rencontres insolites, Travelling est surtout une méditation littéraire inoubliable sur le voyage, sur notre rapport à l'espace et au temps, sur la confrontation entre le réel et ce qu'on imagine.
« Nous autres, critiques de cinéma, il faut dire, sommes des êtres plutôt roués au combat esthétique, endurcis par le métier, par ce monde impitoyable du jugement de goût, où il faut savoir s'imposer, si je puis dire, en tant qu'homme si l''on veut, à terme, imposer ses choix. C'est un point qu'il faudrait que je développe à l'occasion, la virilité à l'oeuvre dans la critique de cinéma. » Est-il envisageable, pour un cinéphile passionné, de livrer à une revue qui le lui a demandé la liste de ses 10 films préférés ?
C'est l'occasion en tout cas pour Tanguy Viel de revisiter, avec beaucoup d'humour (et dans la lignée de son livre Cinéma, réécriture du film Le Limier), son panthéon cinématographique. Dans les affres du choix, une image chasse l'autre, un film se hisse au sommet du top ten et fait glisser le reste de la liste, et Hitchcock, le plus grand des cinéastes, est bientôt détrôné par Murnau, déchu à son tour par Rossellini...
En parallèle, Florent Chavouet, illustrateur remarqué pour son récent livre Tokyo Sanpo, invente 10 affiches pour ces films, et en donne ainsi à son tour une version personnelle.
Ce double détournement, aussi passionné que comique, donne lieu à un très bel hommage au cinéma et à la cinéphilie.
« La vie est partout. Elle s'immisce et se ramifie dans tous les yeux de la terre, dans toutes les rues de toutes les banlieues du monde. La conscience est un endroit dense et irisé, constellée d'impressions et d'instants secrets, éclats d'intensité, de lumière diffractée qui traverse chacun d'entre nous, n'importe où, à chaque heure du jour. C'est en partant de cette évidence que nous avons commencé à travailler avec les lycéens de Clichy-sous-Bois, cherchant à circonscrire, à scénographier tous ces paysages intérieurs et leurs environnements, s'enquérant de savoir ce que pouvait vouloir dire pour chacun habiter, vivre ou penser, et regarder le ciel. Le postulat est simple : un lycéen de Clichy-sous-Bois perçoit autant de nuances du ciel qu'un philosophe. Au pire, il manque de lexique pour les dire et ça n'a pas beaucoup d'importance. Il connaît lui aussi l'herbe verte des pelouses. Il ressent lui aussi le tremblement du monde. Il éprouve lui aussi la cartographie de son enfance. Il sait même se penser lui-même en train de le faire ».
Extrait de la préface de Tanguy Viel