Haendel ? Ce « tonneau de porc et de bière », comme l'écrivait Berlioz ? Ce compositeur officiel de la pompeuse Angleterre, selon l'image encore diffusée dans la première moitié du xxe siècle ?
Heureusement, tel n'apparaît plus aujourd'hui Georg Friedrich Haendel (1685-1759), grâce en soit rendue à la redécouverte de la musique dite baroque depuis quelques décennies !
Lorsqu'on s'intéresse à sa vie et à ses oeuvres - produites pour la plus grande partie dans l'Angleterre des années 1710-1759 -, on s'aperçoit que Haendel est bien plus que l'auteur de « l'Alléluia » du Messie. Il est non seulement l'un des compositeurs de musique vocale les plus importants du xviiie siècle (42 opéras italiens, de nombreux oratorios, des centaines de cantates), mais aussi un cas particulier dans l'histoire des rapports entre la musique et la société de son temps.
Haendel a été le spectateur du passage d'une culture politique et artistique centrée sur la vie de cour à un nouveau contexte dans lequel la culture est devenue un produit et un marché destiné à un auditoire plus large que celui des courtisans.
Le portrait d'un Haendel officiel et guindé dans une raideur toute britannique s'oppose radicalement à sa véritable personnalité, curieuse, inventive et cosmopolite. Revenir au « temps de Haendel » et le débarrasser des scories accumulées depuis sa mort est indispensable pour tenter de comprendre l'homme et son oeuvre. C'est le but de cette biographie historique.
Pour comprendre la complexité de la période thermidorienne - entre l'exécution de Robespierre et l'installation du Directoire - il est nécessaire de revenir aux réflexions des contemporains de l'événement et à leur lecture des processus en cours. Parmi les commentateurs de ce « moment thermidorien » figure un personnage particulièrement intéressant du fait de son positionnement politique original, antirépublicain mais opposé à la contre-révolution : l'ancien général Charles-François Dumouriez, alors en exil depuis sa trahison de 1793. Dans une série de cinq textes de combat publiés en Allemagne entre mars et décembre 1795, Dumouriez analyse à distance le processus de rupture entamé avec l'élimination des robespierristes, qui se poursuit par la répudiation de la constitution de 1793 et la fondation d'un nouveau régime : la république des propriétaires. Les thermidoriens entendent « terminer la Révolution », en finir avec la « Terreur » et refonder la république comme le gouvernement des « meilleurs » selon le mot de Boissy d'Anglas.
Partisan d'une monarchie constitutionnelle et « nationale », Dumouriez encourage les thermidoriens à rompre avec le passé révolutionnaire et à aller plus loin dans la remise en cause de la « Terreur » et de la République. Situé à la « droite » de l'échiquier politique, Dumouriez défend une alternative monarchiste « modérée » à la République. Son point de vue décalé est révélateur de l'étendue des possibles dans ce moment charnière et peut être vu comme une anticipation de la politique monarchiste « libérale » qui sera à l'oeuvre sous la Monarchie de Juillet après 1830.
Cette édition présentée, commentée et annotée des oeuvres politiques de 1795 du général Dumouriez entend non seulement sortir ces textes de l'oubli (ils n'ont jamais été réédités depuis leur parution) mais aussi contribuer à les replacer dans le cadre des réflexions historiques sur ce "moment thermidorien" fécond en réflexions sur le sens de la Révolution et sur l'histoire de la République et de la Monarchie en France.
Depuis la chute du Mur de Berlin, l'idée de " nouvel ordre international " est au centre des débats sur l'avenir des relations entre les peuples.
Le fait que nous vivons une période de transition entre ordre ancien et ordre nouveau est devenu un lieu commun des discours politiques. C'est sans doute parce que nous sommes les contemporains de ces transformations que les historiens des relations internationales peuvent aujourd'hui essayer de se poser de nouvelles questions et introduire de nouvelles problématiques sur la phase de transition dans laquelle s'opère le passage de l'ordre des rois d'Ancien Régime à un ordre véritablement " international " de la fin du XVIIIe siècle au XIXe siècle.
L'Europe des Princes et des Rois de l'Ancien Régime possédait des valeurs, des modes de régulations fondés sur le droit dynastique et le droit positif des traités et enfin une pratique diplomatique et un cérémonial qui fondaient ce que les contemporains appelaient le " système politique de l'Europe ". Cet ordre, détruit par la Révolution française et ses conséquences entre 1789 et 1815, laisse la place à d'autres structures et à d'autres modes de régulation caractéristiques de ce que les historiens ont appelé " l'âge des nations ".
Comment s'opère la transition entre ordre ancien et nouveau ? Comment les acteurs des relations internationales appréhendent-ils ces transformations ? Comment évoluent les structures et les réseaux diplomatiques ? Ces questions constituent un chantier historiographique largement ouvert que les contributions présentées ici entendent aider à défricher pour construire de nouvelles perspectives en histoire des relations internationales.
Le XVIIIe siècle est un moment crucial de la construction de l'idée d'Europe.
Les hommes des Lumières s'interrogent sur ses limites géographiques, politiques, culturelles. Cette réflexion implique une discussion sur ses marges, ses frontières, sur le non-européen ou le presque européen. Or, parmi ces terres de confins, l'empire de Russie émerge comme puissance au début du XVIIIe siècle. L'étonnement des contemporains devant ce phénomène s'intègre dans les débats sur ce qu'est l'Europe.
L'intérêt des Lumières pour la Russie ne relève donc pas seulement d'un goût pour les immensités enneigées ou des bulbes des cathédrales de Moscou. Il pose des questions sur ce qui définit l'Europe sur ses marges : ses bornes, sa population, ses moeurs, ses lois, ses régimes politiques, son histoire, son développement économique, sa " civilisation " opposée à la " barbarie " ou à la " sauvagerie "...
Cet ouvrage entend étudier les représentations et les usages de la Russie dans les débats intellectuels de la France des Lumières entre 1751 et 1789 en se basant sur un corpus d'encyclopédies, de celle de Diderot et d'Alembert à l'Encyclopédie méthodique de Panckoucke à la veille de la Révolution. Ces idées, ces représentations s'insèrent dans un large débat qui se déploie à partir des années 1750 sur la notion de " civilisation ".
Quels sont les regards sur la Russie dans la France des Lumières en 1751 ? Comment évoluent-ils avec l'arrivée de Catherine II au pouvoir ? Les réponses à ces questions nous amèneront à nous interroger sur la place des discours encyclopédiques dans " l'invention de l'Est " et dans celle de la " géographie philosophique " des Lumières dont bien des éléments annoncent les représentations postérieures de l'Europe et celles de la Russie jusqu'à nos jours.
Une partie des contemporains de la Révolution française ont eu conscience qu'ils vivaient une période de bouleversement de l'ordre international et qu'à l'Europe de l'Ancien Régime, dominée par les rois, était en train de se substituer une nouvelle société inter-nationale.
Des traités de Bâle (1795) à celui d'Amiens (1802), les acteurs et commentateurs politiques en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie s'interrogent sur l'avenir de l'Europe. Des contre-révolutionnaires aux néo-jacobins, les mêmes questions se posent : la Révolution française a bouleversé l'ancien ordre des choses, par quoi faut-il le remplacer ? Comment " finir " la Révolution ? Comment stabiliser l'ordre européen ? Cet ouvrage se propose de décrire ce débat et de montrer comment les contemporains ont pensé la transition entre deux ordres internationaux.
La redéfinition de l'ordre européen est encore aujourd'hui au coeur du débat politique. Malgré les différences radicales entre l'Europe de 1796 et celle de 2006 la manière dont les acteurs de l'histoire ont pensé la dialectique des droits des nations et de la géopolitique des puissances peut donner une dimension historique indispensable au débat actuel et enrichir notre réflexion sur ce qu'est l'Europe.
les questionnements actuels sur la " crise de la démocratie " ont ravivé l'intérêt pour l'histoire des traditions républicaines dans l'europe de la première modernité.
c'est en effet parmi elles que des philosophes ont plus particulièrement recherché des éléments de réflexion susceptibles de déplacer nos catégories politiques afin de concevoir un nouveau républicanisme social et démocratique adapté à nos sociétés. ces champs de recherches se sont principalement développés dans le sillage de l'historiographie anglo-saxonne du républicanisme dit " classique ". dans ces travaux fondateurs et ceux qu'ils inspirent, la tradition démocratique athénienne ou l'école du droit naturel moderne et du droit des gens occupent cependant une faible place.
elle est encore plus modeste pour les synthèses républicaines dans la seconde moitié du xviiie siècle et singulièrement de la révolution française. or, au cours des deux dernières décennies, les études révolutionnaires se sont largement renouvelées en inscrivant le politique dans les problématiques du droit naturel moderne, travaillées par le mouvement populaire et le débat d'assemblée. le présent ouvrage, issu des actes d'un colloque qui s'est tenu à paris en 2008, organisé par le collectif l'esprit des lumières et de la révolution, s'inscrit dans ce cadre général.
il place le paradigme républicain à l'époque moderne en perspective dans la souveraineté populaire émergente et le travail de fondation républicaine de la révolution française.
Le Code civil, le Conseil d'État, la Légion d'Honneur, les préfets, les lycées...ces institutions familières ont en commun d'avoir été créées, refondées ou redéfinies sous le Consulat, le régime qui est issu du coup d'État de Bonaparte (1799) et auquel succède l'Empire (1804). Alors que le pouvoir législatif était le coeur de la Révolution française, il est laminé en 1799 et remplacé par un pouvoir exécutif omnipotent, concentré dans les mains d'un homme qui en fait sa chose. La centralisation administrative, telle que nous nous la représentons aujourd'hui, prend sa source dans la dictature de Bonaparte . Elle rompt avec la logique « décentralisatrice » mise en oeuvre depuis 1789 et renforcée par le Gouvernement révolutionnaire en l'an II. Aussi, ce que l'on nomme abusivement « le centralisme jacobin » devrait être désigné comme le « centralisme bonapartiste ». Le processus de centralisation s'accompagne d'une confiscation de la démocratie. Les décisions prises sont hors du contrôle du peuple, alors qu'il est prétendu souverain. L'administration se substitue alors à la politique, le fonctionnaire remplace l'élu et le citoyen est réduit au statut d'administré. Les experts choisis par Bonaparte sont les seuls habilités à définir l'intérêt général et les politiques censées l'incarner. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen disparaît et la référence à la république, de plus en plus formelle, n'a pour seule fonction que de légitimer le régime. L'ordre social repose sur le propriétaire qui a le « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue », le patron dominant ses ouvriers, le mari sa femme et le père ses enfants. La dictature de Bonaparte entend « dépolitiser » la nation et s'appuie sur la surveillance policière et la mise en place d'un régime où la liberté de la presse n'est plus qu'un mot. Le Concordat avec le Pape « recléricalise » la France et fait des prêtres les auxiliaires du pouvoir. Le culte du Chef de l'État et les valeurs militaires de l'ordre, de l'obéissance et de l'honneur sont érigés en culture politique dominante. A l'extérieur, le Consulat de Bonaparte est marqué par la construction d'une hégémonie autoritaire sur les peuples « libérés » par les armées françaises (Hollande, Suisse, Italie du Nord, Allemagne rhénane) et par une réaction coloniale sanglante en Guadeloupe et à Saint-Domingue, accompagnée du rétablissement de l'esclavage en 1802. Aujourd'hui, la société propriétaire et les stigmates « bonapartistes » de la Constitution de la Ve République - la monarchie républicaine, la « verticalité du pouvoir », le législatif marginalisé - suscitent la critique et interrogent la nature de notre « démocratie » et ses dysfonctionnements.
Quelle est donc cette « tyrannie » dont les artisans du Directoire, après Thermidor, voulaient débarrasser la France ? À en croire Boissy d'Anglas, qui rédige la Constitution de l'an III, c'est celle des assemblées primaires, livrées au suffrage universel, où le peuple est « constamment délibérant ». Étrange « dictature », remarquent Yannick Bosc et Marc Belissa, que celle qui favorise la délibération des citoyens, organise l'opposition et autorise les insurrections...
À l'encontre du récit qui fait de la période du Directoire celle du « retour à la normale », les auteurs de ce livre y voient surtout la répression des éléments les plus subversifs de la Révolution : où les Droits de l'homme, rangés au placard des principes abstraits, s'effacent devant le droit des propriétaires ; où l'on décapite l'opposition dans le procès de Babeuf et des « Égaux » ; où l'on confisque la souveraineté populaire dans la confidence des assemblées censitaires ; où les intrigues - et l'armée - demeurent les seuls instruments de régulation politique.
Longtemps boudé par l'historiographie, le Directoire méritait réexamen. Plus qu'une parenthèse entre la Révolution et le Premier Empire, il a été le laboratoire d'une forme de modernité politique, « celle de la république élitiste, parlementaire et colonialiste », dont la formule perdure encore : une république sans démocratie.
Histoire de la fabrication du mythe de Robespierre (1758-1794), deux siècles après son exécution.
Le martyre existe-t-il ? Certes, des individus martyrisés, massacrés, des corps dépecés, du sang et des larmes, l'histoire n'en est jamais avare.
Mais la souffrance ne suffit pas à faire le (ou la) martyr(e). Toute victime ne devient pas martyr(e). Le poids des générations passées pèse sur le cerveau des vivants : les représentations idéalisées de l'Eglise primitive, celle des apôtres et des martyrs, n'en finissent pas d'influencer le comportement des chrétiens aux temps médiévaux et modernes. Pourtant, selon que l'on évoque saint Augustin affirmant " c'est la cause et non la peine qui fait le martyr " ou Tertullien pour lequel le sang des martyrs est semence de chrétiens, l'attitude n'est pas tout à fait la même face au martyre, et l'on peut aisément opposer la spontanéité d'une geste divine et héroïque à l'autorité de l'Eglise qui se veut et se proclame seule instance de légitimation.
Les communications présentées ici s'articulent autour de cette tension et présentent différentes facettes de l'aspiration au martyre du XIIe au XVIIIe siècle. Elles s'interrogent également sur les formes politiques du martyre et regardent le phénomène au miroir de l'islam.