« Voyez alors notre vieille. Elle passe les deux mains le long de la cicatrice, elle tâte : ça y est, elle a compris. Plaf ! le pied lui échappe des mains. Vlan ! c'est la jambe qui tombe dans la bassine ! Boum ! le bruit du bronze ! Et la voilà qui part à la renverse : et toute l'eau par terre ! Oh ! le plaisir, la douleur en même temps qui l'envahissent ! Ses deux yeux soudain pleins de larmes, sa voix chaude qui s'étrangle ! ».
L'Odyssée, chant XIX, vers 467-472.
Derrière tout grand roman, tout grand film, toute époque, aussi, et surtout la nôtre, il y a l'Odyssée. Alors, pour mieux voir, au cinéma de l'Aveugle Homère, les mésaventures du plus célèbre vagabond de la littérature, il faut peut-être mieux entendre, en français d'aujourd'hui, les mille bruits que fait la vieille langue grecque. C'est l'expérience de « vision vocale » que tente, dans la présente « version française », l'helléniste, récitant et musicien, Emmanuel Lascoux.
Mrs Dalloway est un des romans de Woolf les plus connus. En cette fameuse journée de juin située par déduction en 1923, Clarissa Dalloway a cinquante-deux ans, et, quand elle publie son roman en 1925, Virginia Woolf en a quarante-trois. Clarissa marche dans Londres et se remémore sa jeunesse, ses amitiés, ses amours.
Elle évoque le poids des années, les rêves meurtris, les amours inégalées, le royaume des morts ou celui de cette vitalité fragile et précieuse dont elle est magnifiquement douée. Le roman s'intitulait d'abord Les Heures parce qu'il est rythmé par le carillon de Big Ben, le temps qui passe et frappe dans la vie d'une femme. Ce continuum romanesque de la pensée, de la mémoire, des actions, des sensations, c'est le fameux « stream of consciousness », le flux de conscience, une des plus grandes réussites de ce roman. « Sa polyphonie va jusque restituer les pensées vocalisées et les paroles intérieures, les voix vives mais aussi les voix éteintes, dans un travail de mixage sonore délicat auquel il a fallu tendre l'oreille », écrit Nathalie Azoulai dans sa préface.
La nouvelle traduction de Nathalie Azoulai parvient à rendre en français la langue de ce roman culte de la modernité littéraire, vive sans être parlée, conversationnelle sans être relâchée, logique mais peu articulée.
Saisissant, en français aujourd'hui, ce qu'elle a de lapidaire, d'ironique, de séquencé, de pudique, de snob.
Olivier Cadiot, traducteur de Shakespeare ! Après La Nuit des rois (2018), et toujours à la demande du grand metteur en scène allemand Thomas Ostermeier et de la Comédie française, Olivier Cadiot a intégralement retraduit le Roi Lear, la tragédie de William Shakespeare. Un vieil homme décide de partager son royaume entre ses trois filles. Mais la plus jeune, Cordélia, refuse de se soumettre au jeu terrible de qui sera la plus aimante. Le « noir projet » du vieux roi fou se brisera sur l'innocence et l'intégrité de la jeune femme, et sur son amour silencieux. La traduction d'Olivier Cadiot fait résonner le texte shakespearien d'une façon entièrement neuve et surprenante. Elle « recharge » dans une langue vivante les étranges formules et expressions du texte. Afin de recréer la surprise de la langue. On entend tous les jeux de mots, les subtils changements de registres, de niveaux de langue, les sous-entendus souvent ravageurs.
L'anglais de Shakespeare est projeté en quelque sorte dans une langue française ludique, précise, radicale. Cette traduction remet en cause tous les académismes habituels, accélère magnifiquement la langue, et déploie chaque aspérité, incongruité du texte. Cette tragédie politique sur l'amour filial prend ainsi un retentissement contemporain que mettra en valeur la mise en scène de Thomas Ostermeier. La pièce dans la traduction d'Olivier Cadiot entre au répertoire de la Comédie française, et se jouera dans la grande salle Richelieu, avec Denis Podalydès en rôle-titre (roi Lear), à partir du 3 septembre 2022, pendant trois mois, avant une tournée 2023.
Les montagnes du Massachusetts à la fin du XIXe siècle. Ethan Frome est un jeune homme pauvre qui aime les livres et rêve de voyages. Il a hérité d'une ferme et d'une scierie qui ne rapportent rien, épousé une vieille cousine hypocondriaque. Et, sans comprendre ce qui lui arrive, il tombe amoureux pour la première fois. En trois jours, sa vie va basculer. Même la mort ne voudra pas des héros de cette tragédie rurale, chef-d'oeuvre atypique d'Edith Wharton.
Dennis Cooper présente lui-même J'ai fait un voeu, comme son entreprise la plus personnelle et intime : écrire sur George Miles qui lui a inspiré les romans Closer, Frisk, Try, Guide et Period entre 1989 et 2000. Cooper a construit une mythologie littéraire autour de ce personnage. « J'avais, depuis très longtemps, envie d'écrire un roman sur le vrai George Miles... un sujet très difficile pour moi », explique celui que Bret Easton Ellis qualifie de « dernier hors-la-loi de la fiction américaine ». Il s'agit de sortir George Miles, l'ami et amant suicidé dans l'oubli à trente ans, des personnages de fiction qu'il avait inspirés. Georges et Dennis seront les deux personnages principaux du livre. Mais dès le départ tout déraille, George se dédouble, en différentes versions, à plusieurs âges différents, et dans plusieurs situations. Ce roman est une variation de fictions autobiographiques où les personnages, les sentiments se transforment, se déplacent, mutent. La narration devient un labyrinthe à géométrie variable où le désir défait à la fois l'enveloppe des personnages et les intentions du narrateur, multipliant les degrés de fiction : autobiographie, fantastique, comique. Dans quel monde de fiction raconter la perte et le deuil ? Le narrateur tente la réécriture du Coeur est un chasseur solitaire, de Carson McCullers, ou d'un conte de fées, convoque drôlement la figure du Père Noël ou celle d'un serial killer, crée une circulation ininterrompue entre différentes formes, et des passages qui laissent le lecteur hilare, et d'autres où la fragilité du texte devient bouleversante : une plaie à la tête à coup de hache, le pistolet du suicide, les ratés du langage et de l'art conceptuel, les chansons de Nick Drake. Les variations étranges, et l'aspect hautement comique de J'ai fait un voeu, ses éruptions de sang, de sexe et d'émotion évoquent aussi les GIFs, ces images qui tournent en boucle sur internet et que Dennis Cooper manipule pour en faire des romans en ligne inspirés des espaces du jeu vidéo.
154 Sonnets où Shakespeare dit ' je ', faisant entendre sa voix même, celle que l'on cherche en vain parmi les centaines de voix de son théâtre. Destinés à un échange intime, ils sont l'écho d'une multiple passion qui lie le Poète, l'Ami et la Maîtresse. Investissant une forme déjà éculée, Shakespeare veut montrer que la vérité toute nue est plus forte que la poésie. L'amour vécu et souffert, corps et âme, exhibe sans pudeur les affres de la conscience déchirée entre les aspirations platoniques et les vils abandons charnels. La lecture française ne doit pas trahir cette douloureuse tension vers le vrai qui bannit l'artifice et les beaux mensonges poétiques, elle doit la traduire dans sa crudité splendide et dérisoire.
Si le Japon est connu comme un pays de fine gastronomie, sa littérature porte elle aussi très haut l'acte de manger et de boire. Qu'est-ce qu'on mange dans les romans japonais ! Parfois merveilleusement, parfois terriblement, et ainsi font leurs auteurs, Kôzaburô Arashiyama, Osamu Dazai, Rosanjin Kitaôji, Shiki Masaoka, Kenji Miyazawa, Kafû Nagai, Kanoko Okamoto, Jun'ichirô Tanizaki...
Du xiie siècle à nos jours, dix gourmets littéraires vous racontent leur histoire de cuisine, joliment illustrée.
Beaux et maudits (The Beautiful and Damned) est le deuxième des quatre romans de Fitzgerald (1896-1940), et sans doute le plus mal connu. Paru en 1921, il y a exactement un siècle, il raconte la déchéance d'un jeune couple, Anthony et Gloria, de la veille de la Grande Guerre au début de la Prohibition. Avec une noirceur radicale, Fitzgerald (qui n'a pas encore vingt-cinq ans) y massacre systématiquement : les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, l'amour, l'amitié, l'intelligence, le romantisme, l'écriture, l'espérance, les ambitions, des plus modestes aux plus nobles, la société américaine, la démocratie, l'armée, l'industrie du cinéma naissant. Aucune échappatoire possible : l'insouciance, l'alcool et la fête sont également disqualifiés. Mais ce pessimisme est un tremplin qui permet à Fitzgerald de faire surgir, sous forme de fragments éphémères, de regrets, de souvenirs impossibles, des instantanés de beauté et de poésie (la Beauté, dit-il plusieurs fois dans le roman, qui n'est poignante que parce qu'elle est condamnée) - et tout particulièrement dans ce qu'il transmet de New York (c'est son grand roman new-yorkais), de ses quartiers, de ses saisons, de sa lumière.
Julie Wolkenstein propose une nouvelle traduction personnelle de ce roman américain à (re)découvrir : il n'existe que deux traductions françaises, l'une ancienne de 1964, l'autre de 2012 uniquement disponible dans La Pléiade.
En novembre 1974, Werner Herzog apprend que son amie Lotte Eisner, critique et historienne du cinéma allemand, est très malade, on craint pour ses jours. Alors, il décide de se rendre auprès d'elle, à pied, de Munich à Paris. C'est un geste de chevalerie, un acte fou dicté par l'amitié, avec la certitude non moins folle qu'au bout du chemin Lotte Eisner serait vivante, et hors de danger. Du 23 novembre au 14 décembre 1974, il tient un carnet de route devenu depuis lors Sur le chemin des glaces. À travers cette marche qui anime de bout en bout le récit, Herzog nous réapprend à voir ce sur quoi notre oeil glisse, indifférent. Tout ici est mouvement : chemins, fleuve, oiseaux, arbres, pluie, neige. Reportage mais aussi témoignage d'un homme qui nous fait partager tour à tour ses moments d'exaltation, d'épuisement, de plénitude.
Les Prières réunit trois romans inédits en français : Le Fleuve, Paolina, Proviseur.
Dans Le Fleuve, Alessandro erre la nuit à la recherche de l'homme qui a sauvé son fils de la noyade. Paolina chemine seule dans la ville à la recherche des trois hommes avec qui elle a fait l'amour. Elle a quinze ans, trois roses à la main données par une Tsigane, et elle a jusqu'au soir pour savoir si elle gardera ou non l'enfant qu'elle porte. Dans un triste lycée de banlieue, un proviseur, qui s'est rêvé écrivain, se retranche dans son bureau avec deux otages et son fusil de chasse. Chacun des protagonistes de cette nouvelle trilogie romaine prie pour que change le cours de son existence. Ils ont tous le dos au mur, « à la recherche de quelque chose de plus grand qu'eux », écrit Lodoli dans sa préface à l'édition française. Dans l'impasse, ils n'ont rien sinon leur extrême « pauvreté » qui les protège et les sauve. L'important, c'est le chemin parcouru, jalonné de rencontres édifiantes, grotesques, drôles, généreuses, nécessaires. On ira à la fête des vieux enfants, on sauvera une vie dans la nuit, on croisera une lignée de cartomanciennes, un musicien punk, un escrimeur, un orphelin africain, un Dieu pas très catholique au téléphone, des prostitué(e)s, un sanglier blessé, des amours perdus.
Ce livre, écrit juste avant sa mort, pendant sa maladie, constitue un testament amoureux destiné à Chet, son mari, autant qu'à leurs deux enfants, alors âgés de quelques courtes années. Le titre anglais, Fledge, évoque l'apprentissage du vol par les oisillons, la sortie du nid, ou le moment où ils se couvrent de jeunes plumes, leur mue. Poèmes particulièrement adressés, donc. Particulièrement tendres. Tout le volume fonctionne par paires contiguës, par effets de ressemblance ou dissemblance. Il s'agit souvent de distinguer l'un de l'autre, ou de les superposer. Chacun de ces binômes est traversé par la fracture qui produit deux Stacy, celle d'avant et celle d'après la maladie ; par la souffrance et par la difficulté pour la première de s'ajuster à la nouvelle : « ma façon d'être autre-/ment, si autrement. » Le livre bénéficie d'une co-traduction de deux poètes français, très proches de Stacy Doris et de son travail : Pierre Alferi et Anne Portugal. Traduction qui privilégie le vers de cinq pieds, bannissant les mots longs, usant de monosyllabes, plutôt rares et peu usités en français. Pour rendre l'apprentissage du mot veuf, de l'impair du veuvage que l'autrice anticipe et prépare dans ses vers, moteur puissant du recueil, générateur d'outretombe d'une douceur-douleur inouïe.
Été 1922.
En pleine Prohibition, Gatsby, un jeune multimilliardaire sorti de nulle part, aux origines et aux ressources douteuses, organise des soirées somptueuses dans sa villa de Long Island. Tandis que le gratin new-yorkais s'enivre de ses cocktails de contrebande et danse sur ses pelouses, lui n'a d'yeux que pour une petite lumière verte qui scintille de l'autre côté de la baie. Pourquoi s'est-il installé là ? À quoi bon cette fortune prodigieuse ? Aux pieds de qui est-il venu la déposer ? L'a-t-elle attendu, elle aussi ? Le narrateur, impliqué malgré lui dans cette quête romantique, va peu à peu le découvrir, en même temps que la cruauté ordinaire de ceux qui sont nés riches, l'arrière-goût amer des lendemains de fêtes et la fragilité des amours adolescentes.
Charles Reznikoff (1894-1976) était avec Carl Rakosi, George Oppen et Louis Zukofsky un des quatre poètes du courant dit 'objectiviste' américain, qui commencèrent à publier, de manière confidentielle, dans les années vingt du siècle dernier. De Charles Reznikoff ont été publiés en France, Témoignage, Les États-Unis, 1885-1890, un fragment du présent volume (Hachette/P.O.L, 1981, traduction par Jacques Roubaud), aujourd'hui épuisé ; Le Musicien, roman (P.O.L, 1986, traduction par Emmanuel Hocquard et Claude Richard) ; Holocauste (Prétexte, 2007, traduction Jean-Paul Auxeméry).
Dans un entretien publié dans Contemporary Literature Charles Reznikoff, pour décrire sa démarche, citait un poète chinois du XIe siècle qui disait : 'La poésie présente l'objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l'objet et réticente sur l'émotion'. Sans doute n'est-il pas inutile, aujourd'hui, de présenter avec Témoignage, Les États-Unis (1885-1915) une des illustrations les plus complètes et convaincantes de ce programme.
Témoignage, Les États-Unis (1885-1915) est une vaste fresque pour décrire l'entrée des États-Unis dans l'ère moderne à travers la restitution minutieuse et la mise en forme de rapports d'audience de tribunaux amenés à juger aussi bien de conflits de voisinage ou de succession que d'accidents du travail ou de faits divers atroces. Son édition poursuit le travail entamé en 1981 avec la publication de Témoignage, Les États-Unis, 1885-1890 et du Musicien.
Alexander Kluge est relativement connu, en France, pour sa filmographie, abondante et variée, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une large rétrospective à la Cinématèque Française en 2013. L'écrivain est en revanche ici pratiquement ignoré, sinon des germanistes, alors qu'il est une des figures les plus célèbres de la littérature allemande contemporaine et salué comme tel par les médias allemands, le public, l'édition.
Son originalité réside dans une manière de parler de la réalité contemporaine allemande en s'appuyant aussi bien sur son immense culture classique que sur un maniement très original de la fiction, à travers, le plus souvent, de brèves séquences qui sont autant d'apologues dont la juxtaposition et l'accumulation finissent par composer une véritable fresque de l'histoire de son pays et, au-delà, de celle de la pensée et de la sensibilité occidentales.
Cette écriture, cette démarche si originales sont actuellement absentes du paysage littéraire français, c'est la raison pour laquelle une traduction de l'ensemble de cette gigantesque entreprise qu'est « Chronique des sentiments » nous a paru indispensable.
Les sentiments sont les véritables occupants des vies humaines. On peut dire d'eux ce que l'on a dit des Celtes (nos ancêtres, pour la plupart d'entre nous) : ils sont partout, seulement on ne les voit pas. Les sentiments font vivre (et forment) les institutions, ils sont impliqués dans les lois contraignantes, les hasards heureux, se manifestent à nos horizons, pour s'élever au-delà vers les galaxies. On les trouve dans tout ce qui nous concerne.
Ce dont les hommes ont besoin au cours de leurs vies, c'est de l'ORIENTATION. Comme il en faut aux bateaux. Telle est la fonction d'un si gros livre : que l'on compare, se sente rebuté ou attiré, dans la mesure vu qu'un livre fonctionne comme un miroir.
Nul ne lira autant de pages d'un seul coup. Chacun se contentera d'aller vérifier, comme dans un calendrier ou, précisément, une CHRONIQUE, ce qui le regarde. L'orientation subjective - savoir à quoi me fier, ce que je dois craindre, à quoi tiennent les actes délibérés - donnent ce courant de fond, que le temps qui court ne suffit pas à transformer et qui constitue la vraie chronique.
Si un poète écrit sur une catastrophe à la veille d'un événement désastreux, ce n'est pas un hasard.
Si le récit d'une catastrophe débute immanquablement par la veille, ce n'est pas un hasard. Chronique tenue du 10 mars au 30 avril 2011, sur la superposition des images, la mémoire des villes, le hasard, la temporalité de la description et les noms propres qui surgissent, fantomatiques, lors d'une catastrophe.
" oui, il y eut la vie avant le cinéma " m'écrivit un jour jonas mekas.
et quelle vie ! que d'errances accumulées entre le moment oú, sous la menace d'une arrestation par les nazis, il doit quitter la lituanie avec son frère adolfas et celui oú, après dix ans d'exil, il s'habitue à l'idée de n'y plus revenir. départ pour vienne et détournement sur un camp de travail forcé près de hambourg. fuite manquée vers le danemark et folle traversée de l'allemagne dévastée par la guerre.
divers camps encore de personnes déplacées, à flensburg, wiesbaden ou mattenberg, avant de pouvoir s'embarquer à destination de new york. il connaît alors la solitude des quartiers pauvres de brooklyn, cherche du travail jusqu'en usine, mais découvre aussi l'amitié de la communauté immigrée, fait ses premiers pas de cinéma, lance la revue film culture. cette odyssée oú la personne déplacée incarne à son corps défendant la figure tragiquement moderne d'ulysse, mekas la raconte simplement, à mots comptés et bouleversants, dans je n'avais nulle part oú aller, le journal écrit qu'il a tenu de juillet 1944 à août 1955.
on y découvre un cinéaste d'abord écrivain, mais dont l'écriture pointilliste et épiphanique n'a déjà pas son pareil pour rendre cinématographiquement, comme à travers l'enregistrement faussement brut d'une caméra imaginaire, la vision fugitive du suicide d'un jeune déplacé, les longues conversations passées à refaire le monde, ou les nuits étrangement inquiétantes de manhattan. pour mekas, comme pour tant d'autres déracinés du vingtième siècle, l'histoire est un cauchemar dont il a fallu s'éveiller en dénouant les liens mêmes du temps.
quand ce nouvel ulysse s'approche enfin d'ithaque, les souvenirs le submergent, l'enfance remonte en lui, et une pluie scintillante d'infimes fragments de paradis retombe doucement sur terre.
Les Promesses de quoi ? Les trois romans portent-ils des promesses ? Oui, quelques-unes. Sorella promet quil y a aura une connaissance après la douleur, et peut-être même une félicité. Italia promet quoi quil arrive un sens au cours fatal de lexistence, ça ne saute pas aux yeux, mais lange, lui, connaît lhistoire : le temps est un petit bout déternité. Et Vapore promet finalement le pardon, les contraires se rencontrent, les contraires se détruisent, quelque chose, cependant, sait absoudre tant de misère humaine. (Marco Lodoli).
Trois courts romans, donc, où chacun sentend dans un autre par un jeu de reflets et didentiques questionnements. Les personnages sont ancrés dans le réel et la vie qui se délite, mais lauteur, sil jongle avec beaucoup déléments autobiographiques, fait basculer tout cela du côté du réalisme magique. Une religieuse, une servante, une vieille femme : trois narratrices dévident tour à tour dans Les Promesses un récit somnambulique et « vont porter le mystère de lexistence ». Le roi du monde qui tirait les ficelles des Prétendants a abandonné la partie et les trois textes sont émaillés de « Ils » : une entité incertaine, quelque chose qui est plus loin des hommes et qui veille sans sentiments au bon fonctionnement de la mécanique à étioler. Entre « eux » et les humains, il se pourrait aussi que les anges aient à travailler éthérés mais pas exactement en plein ciel. Ils vous attendent plutôt dans lescalier ou au pied de limmeuble. Ils sont autres que ce quon nous a conté, dailleurs sont-ils du bon côté... Ils sont.
Cette nuit, j'ai décidé de tenir à nouveau un journal. Mon journal « parisien » !
J'ai décidé, par un choix délibéré, de me prêter à cet exhibitionnisme légal (et inoffensif) qui est de tenir un journal. C'est pour cette raison que je suis à Paris !
Déchu de sa nationalité roumaine en 1975, Dumitru Tsepeneag est contraint à l'exil. Dès 1970, il se rend à Paris et tient son journal. Témoignage exceptionnel, à travers les remous du champ littéraire roumain, sur la crise qui aboutira à l'effondrement du système totalitaire. On y croise, parmi d'autres, Roland Barthes, Alain Robbe-Grillet, Ionesco et Cioran.
Ces versets ont plus de mille cinq cents ans. Ils ont été rédigés dans une langue ancienne, le sanscrit, quelque part, dit-on, dans le nord-est de l'Inde, au bord du Gange. Ils sont extraits d'un « petit livre» (selon l'expression du texte lui-même), divisé en sept parties, et datant probablement du III" ou IV' siècle de notre ère, le Kâmasûtra. On y découvre l'étrange dilemme d'une culture savante et antique confrontée au plaisir sexuel, à sa recherche, et à sa signification. Renoncer à la satisfaction des pulsions, vertige destructeur, et éventuellement sublimer ce refoulement, ou rédiger les conditions culturelles d'une satisfaction nécessaire (et pour qui? et pour quoi? et de quelles façons en parler?) L'Inde ancienne des brahmanes a ceci de particulier qu'elle a favorisé une sorte de diversité cognitive, souvent dissonante et plus ou moins simultanée, dans laquelle chacun peut disposer d'une connaissance pratique de différents savoirs, techniques, croyances, représentations. Sur près de mille ans au moins, on a su rédiger une science plurielle qui portait sur la grammaire, la religion, la logique, la guerre autant que sur les chevaux, les éléphants, la danse, la vie domestique, la médecine,la musique, l'astronomie, l'élevage, l'agronomie ... L'Inde ancienne, à l'époque Il Kâmasûtra du Kâmasûtra, représente aussi un grand fourre-tout de croyances locales et de traditions, de connaissances multiples, avec la nécessité d'ordonner, de hiérarchiser la diversité du monde. Accompagné de cette volonté inlassable de penser et de prévenir la confusion, le mélange (samkara).
Ces versets ont plus de mille cinq cents ans. Ils ont été rédigés dans une langue ancienne, le sanscrit, quelque part, dit-on, dans le nord-est de l'Inde, au bord du Gange. Ils sont extraits d'un « petit livre» (selon l'expression du texte lui-même), divisé en sept parties, et datant probablement du III" ou IV' siècle de notre ère, le Kâmasûtra. On y découvre l'étrange dilemme d'une culture savante et antique confrontée au plaisir sexuel, à sa recherche, et à sa signification. Renoncer à la satisfaction des pulsions, vertige destructeur, et éventuellement sublimer ce refoulement, ou rédiger les conditions culturelles d'une satisfaction nécessaire (et pour qui? et pour quoi? et de quelles façons en parler?) L'Inde ancienne des brahmanes a ceci de particulier qu'elle a favorisé une sorte de diversité cognitive, souvent dissonante et plus ou moins simultanée, dans laquelle chacun peut disposer d'une connaissance pratique de différents savoirs, techniques, croyances, représentations. Sur près de mille ans au moins, on a su rédiger une science plurielle qui portait sur la grammaire, la religion, la logique, la guerre autant que sur les chevaux, les éléphants, la danse, la vie domestique, la médecine,la musique, l'astronomie, l'élevage, l'agronomie ... L'Inde ancienne, à l'époque Il Kâmasûtra du Kâmasûtra, représente aussi un grand fourre-tout de croyances locales et de traditions, de connaissances multiples, avec la nécessité d'ordonner, de hiérarchiser la diversité du monde. Accompagné de cette volonté inlassable de penser et de prévenir la confusion, le mélange (samkara). La connaissance relève ici à la fois de la taxinomie, de la description, de la proscription et de l'exception. C'est le monde des sâstra, traités versifiés de droit, textes d'enseignement et d'étude qui produisent une sorte de lecture et de description raisonnée infinie du monde. Le verbe sas signifiant à la fois punir et enseigner, un peu comme notre mot discipline en français. Ce monde est distribué selon une trilogie supérieure (en sanscrit trivarga, les trois significations discriminantes qui confèrent les buts de l'existence humaine, purusârtha) : dharma (l'ordre universel, les principes, les devoirs sacrés de toute existence), artha (la création de richesses et la puissance matérielle d'une existence, la prospérité), et kâma (le plaisir sexuel, amoureux, la sensualité, le désir). On commence toujours par ce trio pour parler grammaire, architecture, danse, médecine ou musique ... C'est dire que le plaisir est reconnu traditionnellement comme une des trois finalités supérieures du brahmanisme, et que les buts sexuels ne sont pas forcément en contradiction avec le jeu social.
Un pont, une rivière asséchée dans un paysage désolé, la guérite d'un gardien mal luné, une route qui se perd à l'horizon, un marchand qui pense le monde, un vieillard, un petit enfant, et puis l'attente.
Rien ne bouge ou presque. nous sommes en afghanistan, pendant la guerre contre l'union soviétique. le vieil homme va annoncer à son fils qui travaille à la mine, le père du petit, qu'au village tous sont morts sous un bombardement. il parle, il pense : enfer des souvenirs, des attentes, des remords, des conjectures, des soupçons. c'est une parole nue qui dit la souffrance, la solitude, la peur de n'être pas entendu.
Sur leurs vastes terres les grands propriétaires des Plaines de l'Australie intérieure ont su préserver une culture à la fois riche et unique, inaccessible. Extrêmement préoccupés par leur habitat et leur histoire ils engagent des artisans, des écrivains, des historiens afin de conserver chaque détail de leur mode de vie ainsi que tout ce qui constitue la nature profonde de leur pays. Un jeune cinéaste arrive dans les Plaines avec l'espoir d'apporter sa propre pierre à l'édification de cette histoire. Engagé par un propriétaire imprévisible et énigmatique, comme il semble qu'ils le soient tous, il constatera, à mesure que son projet de film se défait, et peut-être parce qu'il se défait, qu'il devient un véritable habitant des Plaines. C'est vingt ans après son arrivée qu'il nous raconte ici sa vie dans les Plaines, cet infini territoire du dedans.