Il arrive souvent que lorsquon tente détablir le bilan dun travail achevé, on se retrouve avec davantage de questions que de réponses. Tel est le constat réalisé dès la conclusion de « La vie rêvée des Italiens ? » La chose nest pas nouvelle et lauteur ny a pas échappé. Après avoir étudié les bras, il fallait scruter loeuvre des hommes. Ceux du bâtiment : entrepreneurs, techniciens, ouvriers et manoeuvres mélangés. Le peuple bâtisseur qui a forgé limage la plus visible, et pour cause, de limmigré italien en France. A ses débuts, lhistoriographie de lémigration a largement fait appel aux thèmes de lexpulsion et à la nécessaire émigration comme réponse à la misère. A raison. Cependant, ce faisant elle a renvoyé dans lombre des situations plus complexes. La variété des motivations de milliers dhommes attirés par laventure, partis à la conquête du monde munis dun projet, riches de savoirs, alliant enthousiasme et stratégies, confiant aux espaces qui nous sont désormais familiers (édifices civils et religieux, oeuvres monumentales ou bien plus modestes) les traces de leur passage. Aujourdhui, sans tomber dans lexcès contraire, la recherche historique se tourne résolument dans cette nouvelle direction. Cest également la voie choisie par Mino Faïta.
Partir n'est jamais un « aller-simple » de même que passer d'un pays à un autre ne peut se résumer qu'au franchissement de la seule frontière géographique. Partir c'est avant tout passer d'une langue à une autre, une langue qu'il faut aller chercher, obstinément, conquérir si possible afin de pouvoir renaître. Parti comme tant d'autres à la conquête de la dignité dès l'âge de 14 ans, l'auteur ne cesse d'interroger l'histoire des migrations, celles d'hier comme celles d'aujourd'hui.
Je me suis laissé dire qu'après la guerre, les fusillés avaient été considérés comme " Morts pour la France ", ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact, mais quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c'est la France qui les a appelés et c'est pour elle qu'ils se sont battus, qu'ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée et ce n'est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J'ose m'incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition d'être passé par là.
Louis Leleu, brancardier
Ecrits dans l'urgence d'une situation constamment dramatique où la mort préside à tous les destins, les carnets de guerre de Pierre Pasquier sont un témoignage précieux.
Parcourant la ligne de front des Vosges à la mer en passant par l'Alsace, la Lorraine, la Champagne, la Picardie, le Nord Pas de Calais, la Belgique... pendant plus de 4 ans, le caporal Pierre Pasquier de St Jean de Maurienne, observe, noue des relations et note tout: les paysages, les armes, les hommes. Au cours de ces périples, interrompus par neuf brèves permissions, Pierre Pasquier rencontre des centaines d'hommes, des Savoyards enrégimentés dans les 97eet 30e R.1, mais aussi les Haut Alpins du 159e, les chasseurs...
Des hommes qu'il connaît souvent: voisins, amis d'enfance, jeunes gens ou pères de familles de Maurienne et de Tarentaise. Dès lors, le témoignage se teinte par moments des couleurs de la saga, de ces hommes il sait bien des choses, leurs parcours ou bien les lieux de leurs tombes...
Epifanio, Turi, Gavino, Alfio, Damiano...
Les personnages auxquels donne vie ce récit ont les prénoms, les corps et les voix de leurs terres. Qu'ils quittent les monts de Sicile, de Sardaigne ou bien les plaines de la Pouille, tous regardent le Nord, la frontière. Dans ce cortège d'hommes, émerge Salvina, " la putain magnifique ", belle et étrange femme... D'une voix à la fois tendre, ironique, grave, Mino Faïta écrit le chemin de ceux qui arrivent de la mer, peuples clandestins à la conquête du pain et des autres dignités, l'alliance jamais finie de l'histoire et de la brûlante actualité.
1944 -1974 Une période que l'historiographie classique a retenu comme étant celle des «Trente glorieuses». Sans doute les décennies les plus dynamiques de l'économie française. Après la Seconde Guerre mondiale il faut reconstruire et surtout produire. A Cluses on sait faire. Depuis près de quatre siècles, les anciens horlogers devenus décolleteurs, usinent des pièces destinées à tous les secteurs de l'économie nationale et internationale : des transports au bâtiment, en passant par l'ameublement et l'armement, puis l'électroménager et la photographie... A première vue, la ville allongée le long de l'Arve est un énorme atelier, mais à première vue seulement. Au fil des années, le bourg s'ouvre au monde, aux utopies, on dit même aux modernités. «La Cluse» s'élargit, accueille en très grand nombre, des hommes et des femmes, ces bras, ces voix qui manquent tant. La ville devient cité. Le lecteur découvre les lieux au travers du regard neuf, amusé ou émerveillé de quelqu'un venant d'ailleurs. Puis, progressivement, ce regard devient lucide, plus près des réalités, des fraternités Au fil du temps, le rédacteur des lettres n'est plus un visiteur, comme tant d'autres, il est devenu un homme des lieux.
Mino Faïta est né en 1944 à Tarente, ville du sud de l'Italie baignée par la mer. Après une première tentative en 1958, il arrive définitivement à Cluses en 1961. Ouvrier décolleteur pendant près de vingt ans, il devient ensuite professeur certifié d'histoire géographie et enseigne notamment au Lycée Charles Poncet, lieu emblématique de l'histoire de la ville. Depuis plus de vingt ans ses recherches et publications se focalisent essentiellement sur l'histoire industrielle en Savoie, la Grande Guerre et l'immigration italienne en France. Des centres d'intérêt qu'on retrouve également dans ses participations à des ouvrages collectifs. Mais l'écriture franchit d'autres frontières, en 2003 il est lauréat du prix francophone de poésie Amélie Murat à Clermont Ferrand pour son recueil Altérités.
Parmi tous les pays industrialisés ou en voie d'industrialisation, l'Italie est de manière indiscutable le seul à avoir connu une émigration aussi massive. Les terres savoyardes deviennent rapidement l'une des plus importantes zones d'accueil de l'immigration transalpine. Explorant les fonds d'archives, la mémoire de plusieurs dizaines de témoins directs, celle de leurs descendants, confrontant les sources, l'auteur retrace les parcours et analyse cette présence riche par le nombre, par la place multiforme occupée à tous les niveaux de la société d'accueil. Le travail, réalisé ici, participe à l'historiographie de l'immigration, enfin devenue au plan national comme au plan local une composante naturelle de l'histoire de France. Un travail nécessaire... L'auteur dresse ainsi un large panorama géo-politique de la période 1860-1960 et présente de nombreux entretiens et témoignages de familles italiennes implantées et intégrées dans la région.
L'horreur des combats associe la Grande Guerre à une immense hécatombe humaine. Les justifications d'un tel sacrifice sont plus complexes qu'on ne l'a souvent affirmé et font débat encore aujourd'hui. Durablement des millions de proches des soldats tués au combat ont alors vécu l'épreuve indicible d'un deuil hors norme, traumatique. Travailler sur le deuil de guerre contribue à réparer un long oubli. Plus touchée encore que d'autres régions françaises, la Savoie fut, elle aussi, une terre massivement endeuillée. Les sacrifices ont été lourds aussi pour les rescapés de la mort : les mutilés, les prisonniers, les aliénés mentaux. D'autres victimes figurent à l'arrière, les enfants, les femmes et les non-Morts pour la France ! Un univers de souffrances mêlées auquel la République a prodigué, même si de manière fort inégale, assistance et reconnaissance.
Les liens entre les armes et l'industrie sont organiques et figurent à leur juste place dans l'historiographie de la Grande Guerre. Bien moindre en revanche est celle accordée à l'agriculture. Étrange dissymétrie de visibilité ! Certes, pour vaincre il faut s'armer, mais comment nourrir pendant plus de quatre ans, sans l'intense concours de la terre, des millions de civils et de combattants ? De la sidérurgie à la métallurgie de précision, de la filière bois à l'industrie textile, puis à la papeterie, rares sont les secteurs qui ont été à l'écart de l'oeuvre commune. Dans les usines, comme dans les campagnes, les femmes ont joué un rôle essentiel, ensuite la mobilisation des bras s'est élargie jusqu'aux enfants. Et lorsque les nationaux n'ont plus suffi, les frontières se sont ouvertes aux travailleurs des pays proches, à ceux des colonies. En l'espace d'une poignée d'années, de par la violence de la guerre, en acteur significatif de l'ensemble du territoire, l'économie savoyarde accomplit sa plus grande mutation.