Ces pièces de Lars Norén dont l'écriture s'étend de 1980 au début des années 2000 dressent une peinture tragique et sensible de son univers théâtral, où une violence inouïe investit le réel. Elle s'introduit dans les relations intimes, dans les espaces mentaux des personnages irrépressiblement vivants, en dépit de leur désir de mort. Xénophobie, parricide, meurtres, violence conjugale, huis clos familiaux insoutenables. Pas de psychologie mais une prise directe avec l'inconscient, et une fragilité psychique qui se livre sans fard.
Les personnages de ces tragédies contemporaines semblent des exilés du présent, des âmes errantes, en quête d'une rive où accoster pour survivre.
Onze vacanciers se retrouvent dans le même lieu depuis trente ans, dans un hôtel de bord de mer. Ils sont tous âgés, sauf Marilyn, la fille handicapée mentale de H. Ils sont comme les lettres d'un alphabet sans visage, anonymes et tout à leur solitude. Chaque année, ils se côtoient sans apprendre à se connaître et passent ensemble une semaine ou deux. Sans réel plaisir. Dans Poussière, le langage s'effondre en même temps que la vie. Là où la mort vient se parer de rêve, les bouches d'outre-tombe questionnent le temps qui chavire. Le temps ici n'est plus linéaire, il devient mémoire. Que reste-t-il, quels sont les visages, les souvenirs, les émotions encore présents ? Loin du tumulte et de l'agitation passée, la vie trouve sa raison d'être et accoste avec une majestueuse sérénité, comme enfin parvenue dans l'au-delà. « C'est une pièce sur la fin, sur les au revoir, sur les souvenirs. Une pièce belle et mélancolique qui ne cesse de parler de la vie » dit Lars Norén.
Traduction d'Aino Höglund & Amélie Wendling.
Un des premiers succès de Lars Norén, jamais édité en France, nous mène dans un hôtel au bord de la banqueroute sur la Baltique. L'harmonie familiale est en pleine débâcle, prête à rompre à tout moment. Le père, un alcoolique désespéré, dissimule ses bouteilles et « manifeste les traces d'une grande élégance en ruines ». La mère souffre d'une maladie sournoise à la poitrine, tandis que les deux fils se montrent agressifs ou oisifs. Une orgie de malentendus, de haine et d'agressivité s'abat sur ce huis-clos familial déserté par la clientèle. Une fresque psychologique retorse, un quatuor de névroses où se déploie toute la fougue de Norén, où chaque mot compte, apportant sa nuance et sa blessure. Sans retenue ni pudeur.
Traduction du suédois par C.G. Bjurström et L. Albertini, revue par Christophe Perton.
Un jeune homme de 18 ans, passionné de jeux vidéo, s'apprête à tuer le plus grand nombre d'élèves et de professeurs dans son école où il ne s'est jamais senti bien, puis à se suicider.
« Je veux juste redevenir calme. » C'est ce que tente d'atteindre en vain cette famille suédoise : le calme. Mais comment faire quand la vie qu'on s'était construite dégringole pierre après pierre ? Ernst, le père, tente désespérément de faire marcher son hôtel sans visiteur. Lena, la mère, est atteinte d'un cancer et vit ses derniers instants. Leurs deux fils, John et Ingemar, sont en conflit perpétuel. Nourrissant une jalousie féroce, ils n'attendent plus que la mort de leur mère pour quitter la maison. Dans cette pièce écrite en 1984, Lars Norén dévoile la complexité des relations d'une famille qui ne se comprend pas, où le dialogue existe, mais est sans cesse brisé, écorché. Pourquoi rester ? Et partir, pour aller où ? À quel fil la famille est-elle suspendue ?
Cette pièce qui semble à des années-lumière de la dramaturgie classique provoque pourtant les mêmes effets : terreur et pitié.
S'il n'est pas vain de spéculer sur les mobiles des diaristes, il faut surtout retenir qu'ils éprouvent le besoin de se confier. La confession sur papier est d'abord une prise de conscience personnelle et discrète, qui une fois publiée peut devenir assez bruyante et indiscrète. Le risque est inhérent au projet. Non seulement l'auteur mais aussi tous ceux et celles qui y apparaissent se trouvent, parfois malgré eux, exposés sur le devant de la scène.
N'empêche, il s'agit ici du journal d'un dramaturge dont les pièces ont marqué le théâtre européen des vingt-cinq dernières années.
Des pièces comme Démons ou Catégorie 3.1 sont des pièces-clé de notre époque et le lecteur est en droit d'attendre d'un tel journal plus que les ragots sur un monde clos et peu accessible. Il ne sera pas déçu puisque ce journal est, certes, intime, mais il est également un lieu de réflexion sur l'écriture, la mise en scène, bref la création artistique. Il nous montre un homme tourmenté, aux prises avec ses doutes, ses plaisirs, constamment à la recherche d'un soulagement que peut procurer une visite dans une boutique, l'achat de sushi ou un jogging au petit matin.
Le journal original s'étale sur plusieurs années, cinq chapitres et plus de mille cinq cent pages. Le lecteur français trouvera ici le chapitre quatre, qui décrit la mise en scène de Guerre par son auteur aux Théâtre des Amandiers à Nanterre ainsi que les mois qui l'ont suivie ; des mois marqués par une grande difficulté à écrire.
« En ouvrant La Nuit de la philosophie, on est immédiatement aspiré par son mouvement, par le tourbillon du néant. Le nouveau roman de Lars Norén est une oeuvre de la négation, où la fin est le commencement, la mort est l'issue de chaque lettre vivante, c'est un monologue qui s'auto-dévore. C'est aussi un retour littéraire qui nous ramène à la prose et à la poésie de Norén d'il y a 30 ans. Le nihilisme de Norén n'a jamais été aussi beau. »
Le titre est à lui seul tout un programme. Par Personkrets 3.1, l'administration de la ville de Stockholm désigne ceux qui vivent dans la marge. Dans la pièce, alcooliques, drogués, prostitués, psychotiques, SDF et chômeurs peuplent Sergelstorg, une place du centre de Stockholm, dont la matière première est le béton. Lars Norén a quitté l'univers clos des explosions familiales, le champ de bataille des couples de la tradition strindbergienne, pour celui des marginaux.
La pièce est un long fleuve de répliques et d'actions, qui forme un univers micro-dramatique minutieusement contruit, sous-tendu par une ironie constante et des critiques cinglantes. Description intense de ceux qui s'inquiètent chaque jour de leur survie, elle provoque chez le lecteur/spectateur « la pitié et la terreur » dont parlait déjà Aristote : « Quand nous présumons que nous pourrions nous aussi en être victimes, ou quelqu'un des nôtres, et que le danger paraît proche de nous », on s'identifie et éprouve alors de la compassion. Il est curieux de constater qu'une pièce qui semble à des années-lumière de la dramaturgie classique provoque finalement les mêmes effets.